À Mounia, mère de Nahel, et à toutes les mères, vous n’avez rien à vous reprocher (liberation.fr)

À Mounia, mère de Nahel, et à toutes les mères, vous n’avez rien à vous reprocher (liberation.fr)

768 512 Nous sommes le Front de mères

À l’instar des « Folles » de la place de Mai, puis de celles de la place Vendôme, on cherche à stigmatiser le combat de la mère de l’adolescent, tué le 27 juin par un tir policier, à la chasser de l’espace public et politisé, s’insurge le collectif le Front de mères.

Nahel, jeune homme de 17 ans qui aurait pu être notre fils, a été tué froidement d’une balle en plein thorax par un policier à Nanterre le mardi 27 juin lors d’un contrôle routier, ce qui depuis a créé l’effroi partout en France et ailleurs.

Lors de la marche d’hommage à Nahel à Nanterre, Mounia, sa mère, est apparue sur le toit d’un camion poing levé au ciel avec un sourire aux lèvres, symbole pour beaucoup de sa force intérieure et de sa détermination à se battre pour faire connaître la vérité sur la mort de son fils.

Cette image a été largement partagée sur les réseaux sociaux, et a, certes, inspiré de nombreux messages de soutien et d’empathie envers cette mère courageuse, mais a également suscité de nombreux commentaires haineux en remettant en cause son deuil de la manière la plus ignoble.

Tentative d’intimidation pour casser les luttes

Mounia, ce qu’on vous reproche, c’est de refuser d’être une mère tampon, de baisser la tête, d’appeler au calme. On vous reproche d’être une mère dragon, qui n’appelle pas seulement à une marche blanche mais à une « marche de la révolte ». On vous reproche d’être solidaire avec les enfants des quartiers populaires, légitimement en colère, solidaire avec nos enfants à toutes.

Dans les années 70 déjà, en Argentine, les mères dont les enfants ont été enlevés, torturés et assassinés pendant la dictature militaire se rassemblaient sur la place de Mai à Buenos Aires pour demander justice pour leurs enfants disparus. Elles ont été traitées de « folles » car on leur reprochait de faire le trottoir sur la place, de s’exhiber. « Rentrez chez vous, espèce de folles ! » leur criaient les militaires.

Elles ont répondu en s’autodéfinissant comme « folles » : « Oui, nous sommes folles, folles de rage et de colère, folles de tristesse après la mort de nos enfants, folles d’amour pour eux, déterminées à obtenir vérité et justice. » Elles ont retourné le stigmate, elles l’ont assumé pour en faire un symbole subversif, révolutionnaire.

De même, inspirées par ce mouvement, les mères de la place Vendôme dans les années 80 à Paris en France ont été taxées d’« hystériques » par la police quand elles ont exigé vérité et justice après la mort de leurs fils assassinés. Elles aussi, en référence à la lutte des mères de la place de Mai, se sont autodéfinies comme « folles », les Folles de la place Vendôme.

Quand les mères sortent du « foyer » pour occuper l’espace public, l’espace politique, pour y porter des revendications, les autorités cherchent à les ramener au foyer. La méthode pour les assigner à résidence est éculée, on les insulte en pointant du doigt leur « pudeur », la pudeur attendue des mères qui doivent pleurer leur enfant mort chez elles, à l’abri des regards. C’est donc une tentative d’intimidation pour casser les luttes des mères pour la vérité et la justice quand l’institution, notamment policière et militaire, s’en prend à leurs enfants.

Votre combat pour la justice commence

Aujourd’hui, c’est au tour de la mère de Nahel, qui exige vérité et justice après la mort de son fils, d’être stigmatisée, disqualifiée parce que « trop souriante sur la photo », « trop présente sur le camion », etc. Elle est considérée comme n’ayant pas la « pudeur » que devrait avoir une mère qui pleure la mort de son enfant.

Les Folles de la place Vendôme savaient bien que leurs fils assassinés n’allaient pas revenir. Mais elles scandaient : « Notre fils aujourd’hui, votre fils demain. »

Mounia, aujourd’hui votre combat, vous le menez pour la justice, pour votre fils Nahel, pour nos enfants à toutes.

Mounia, nous devinons votre peine, votre douleur, votre colère, après la mort de votre enfant, Nahel, paix à son âme. Si vous êtes stigmatisée par certains, les habituels réactionnaires, c’est pour vous empêcher de vous battre pour obtenir la justice. Nous en savons quelque chose. Comme les Folles de la place de Mai et les Folles de la place Vendôme, c’est votre détermination qui est visée, on cherche à vous chasser de l’espace public, de l’espace politisé, à vous faire rentrer chez vous, rentrer dans le rang.

Nous aussi avons souri avec vous quand, au lendemain de la mort de Nahel, des milliers de personnes sont venues à Nanterre pour vous présenter leurs condoléances, vous soutenir, exiger avec vous la justice. Comment ne pas se réjouir ? Nahel ne reviendra pas. Mais votre combat pour la justice commence, et avec le soutien de ces milliers de personnes qui se sont déplacées jusqu’à vous, Mounia, ce combat commence bien. Alors comme vous, nous avons souri, nous nous sommes tenu la main les unes les autres, nous avons occupé la place en scandant « Pas de justice, pas de paix ! ». Jusqu’à la victoire pour la justice, nous sommes avec vous.

Gloire à nos combats de mères, par amour pour nos enfants, pour tous les enfants, pour les protéger de toutes les violences et les discriminations qu’ils subissent. Contre les crimes policiers. Contre le racisme qui les tue à petit feu ou d’une balle dans le thorax. Ensemble, solidaires.